DE LA REPENTANCE AU REPENTIR
par le Grand Rabbin René GUTMAN
Extrait de ECHOS-UNIR, octobre 1997 - DNA 2 octobre 1997

La "déclaration de repentance" des évêques de France, le mardi 30 septembre 1997 à Drancy, est saluée "fraternellement" par le grand Rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin, René Gutman, membre du conseil permanent de la Conférence des rabbins européens.

Monument commémoratif du camp de Drancy
sculpture de Shlomo Selinger, 1976
C'est Henri de Lubac qui fut sans doute le premier à souligner – dans un mémoire confidentiel écrit en 1944 et conservé dans les archives Maritain à Kolbsheim mais qui ne fut révélé au grand public qu'en février 1992 – que beaucoup des évêques français avaient, dès les débuts du régime de Vichy, abdiqué leur autorité spirituelle, comme hypnotisés sur le problème du pouvoir politique et de la "légitimité" de Vichy.

En eux, dira le père de Lubac, l'Église de France est apparue aux yeux de tous comme profitant odieusement d'une situation odieuse. "Scandale de ces quatre années (de l'occupation), où si souvent l'Église apparut satisfaite, alors que la justice était partout violée, que les consciences étaient torturées, que le christianisme était bafoué".

Le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, protestera contre les conditions terribles régnant dans le camp de Gurs, mais reconnaîtra devant Vallat : "votre loi n'est pas injuste mais c'est à propos de son application que la justice et la charité sont en défaut". Il croyait que la reconstruction de la France par Pétain la rendrait "plus chrétienne". Il y eut même un évêque pour féliciter Pétain pour ses mesures de répression à l'égard des francs-maçons aussi bien bien que de "cette puissance non moins néfaste des métèques, dont les juifs offraient le spécimen le plus marqué".

«Ils sont nos frères»

Le silence de l'Église de France ne se faisait-il pas dès lors l'écho du silence de Pie XII, oublieux des paroles de son prédécesseur qui avait déclaré en février 1939 : "l'antisémitisme est inadmissible, nous sommes spirituellement des sémites" ? Il aura fallu attendre la protestation publique du cardinal Saliège le 23 août 1942 où il déclara: "les juifs sont des hommes, les juives sont des femmes. Tout n'est pas permis contre eux... ils sont nos frères comme tant d'autres..." pour que l'honneur de l'Église soit sauf.

Dans leur déclaration de "repentance", les évêques rendent justice, comme l'a fait depuis toujours la communauté juive française, au clergé français qui, à une époque et dans un monde mis en question par les triomphes hitlériens, a sauvé, sur cette terre de France, tant de nos frères et soeurs. Ils ont eu le courage de répondre au silence par une parole de repentance qui fera à tout jamais mémoire, et que nous saluons fraternellement : elle donne la mesure de la lucidité, du courage du coeur et de l'esprit de l'Église actuelle.

La plume de Mgr Elchinger

Elle a admis les conséquences du silence de leurs aînés "alors que leur parole aurait pu, par un retentissement faire barrage à l'irréparable". Elle a reconnu que ce silence a, dans un certain sens, frayé la voie à cette politique de discrimination et de persécutions qui conduisirent 75000 juifs de France vers les camps de la mort. Elle a ainsi rappelé que contre l'indifférence, seules la force de s'indigner mais surtout la capacité à éduquer les consciences par l'enseignement de l'estime, cher à Jean XXIII, après vingt siècles d'enseignement du mépris, et de "porter secours dès les premiers instants quand la protestation et la protection sont encore possibles et nécessaires" aurait donné sens aujourd'hui encore au sauvetage de l'homme.

En 1979, le père Roger Braun avait déjà appelé l'Église à "demander pardon à Dieu d'avoir gravement péché par antisémitisme". A cette déclaration de repentance "avant la lettre", nous n'oublierons pas d'ajouter, dans la mouvance de Vatican II, la Déclaration du Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme, qui en 1973 et sous la plume de Mgr Léon-Arthur Elchinger, affirmait tout à la fois la vocation particulière de ce peuple comme la "sanctification du Nom", la place "du don de la terre" et la présence de Jérusalem au coeur de son Alliance avec Dieu.

Sous la couche épaisse "d'un passé refoulé ou mensonger", et, contrairement à la mémoire figée de ceux qui veulent "en finir avec Vichy", cet appel sera ressenti par l'ensemble du judaïsme français comme un acte de repentir*, en hébreu "teshouva", par définition plus tranchant, dans la vie intérieure, que la seule repentance, auquel nous sommes appelés, nous aussi, en ce nouvel an israélite. Non seulement comme le souhaitent les évêques français pour "l'accomplissement d'un pas nouveau", mais pour la promesse d'une société nouvelle qui garantisse, au nom de nos familles spirituelles, l'humanité de l'homme.


Relations judéo-chrétiennes
 
         

© A . S . I . J . A .