Bien qu'il y ait, sur ce point, quelque flou dans ma mémoire, ce qui est certain, c'est que je me souviens de l'animation qui régna dans la nuit qui suivit le 8 mai 1945.
Le premier problème qui se posa : où loger ? Notre appartement de Wintzenheim était occupé. Où aller ? Problème qui peut sembler secondaire, mais auquel il fallait bien trouver une solution, si je me décidais de demeurer sur place. J'étais alors le seul rabbin revenu en Alsace, et j'avais obtenu de la Préfecture un ordre de mission qui devait me permettre d'obtenir un logement. Mais il s'avéra inutile, sans la moindre efficacité.
De plus, ma situation était incertaine. On ne pouvait pas s'imaginer que la Communauté de Wintzenheim allait renaître. Sans doute, y avait-il Colmar, où j'avais d'ailleurs, avant la guerre, exercé une bonne partie de mon activité, dans le cadre du Talmud Tora, des classes primaires des lycées, et de la Jeunesse Juive de Colmar.
Mais on pouvait penser que le grand rabbin Ernest WEILL allait revenir d'Aix-les-bains, pour reprendre ses fonctions de grand rabbin de Colmar et du Haut-Rhin. Si bien que nous envisageâmes, un instant, à partir ailleurs. Quoi qu'il en soit, nous allâmes passer quelques jours au Château de Ferrières, propriété des ROTHSCHILD, où se trouvait alors une maison d'enfants dirigée par Maurice FRISCH, que nous connaissions d'Agen, où nous l'avions fait nommer secrétaire du bureau de l'U.G.J.F.
Puis nous nous rendîmes à Paris, à l'avenue de Ségur, au centre des Éclaireurs Israélites de France, où "Castor", (Robert GAMZON, le fondateur du Mouvement EI), nous proposa de combiner le rabbinat avec la direction d'une maison d'enfants. Je n'arrive pas à me rappeler pourquoi j'ai refusé. A la même époque, il fut aussi vaguement question que j'aille à Lyon pour y occuper le poste de grand rabbin. Pourquoi cela ne se fit pas, impossible de m'en souvenir. Quoi qu'il en soit, je retournai à Colmar, tandis que ma femme alla passer trois mois à Moissac, dans cette maison des E.I., dirigée par Madame SIMON (Chatta), peut-être dans l'idée que nous nous déciderions un jour, de choisir ce genre de travail.
Quant à moi, je revins à Colmar, pour y exercer, ne serait-ce que provisoirement, les fonctions rabbiniques. À plus d'une reprise, il fallut participer à des manifestations patriotiques. Je ne me rappelle plus combien de fois ”Colmar fut libérée”. Pour faire bonne figure et représenter dignement la Communauté, il fallut me faire confectionner une soutane (ce fut avec une étoffe de bien mauvaise qualité, alors que la mienne avait disparu dans la tourmente).
Il ne me fut pas très facile de travailler alors que se posait avec acuité le
problème : où loger ? J'ai fait pendant plusieurs mois le ”juif errant”. Qu'on
juge si j'exagère ! Grâce à Joseph LEHMANN, membre du Consistoire, mais aussi conseiller municipal, j'eus l'autorisation de disposer pour deux jours d'une chambre à la Caisse d'Epargne. J'y demeurai une semaine. Puis je pus dormir dans la salle à manger privée du propriétaire de l'Hôtel Meyer à Wintzenheim. Ce privilège fut, lui aussi, de courte durée. Un jeune LAZARUS, qui avait été mon élève avant la Guerre, me rencontra et me dit :
- La famille demeure toujours dans le département des Pyrénées, car il faut, pour que nous puissions revenir, que des travaux soient effectués dans notre maison, avenue
de la Liberté. Je cherche un jeune homme qui pourrait d'ailleurs loger dans la maison, mais surtout qu'il ouvre la porte le matin aux ouvriers, et qu'il la ferme le soir.
Je lui répondis :
- Ce jeune homme, c'est moi.
On mit un matelas
par terre dans une des chambres, et me voilà tranquille pour quelque temps. Mais tout a une fin. Et de nouveau, il me fallut chercher un gîte. Rencontrant, place de la Gare, Lucien SCHEYE, un de mes anciens "paroissiens" de Wintzenheim, il vit que j'avais l'air préoccupé. Il m'en demanda la raison. Sur quoi il m'amena à l'Hôtel
Bristol, dont il connaissait la réceptionniste, et grâce à son intervention, j'obtins comme chambre une salle de bains. Mais une fois dans la place, dès qu'une chambre normale devint libre, elle me fut attribuée, et c'est alors que
ma femme vint me rejoindre.
Le problème de l'alimentation s'avéra moins difficile à résoudre, grâce à la gentillesse pour ne pas dire plus, de quelques familles. C'est ainsi que ma femme prit le repas de midi chez Robert LÉVY, et moi, chez les GASSENBAUER et les ROWINSKI. Grâce à un petit réchaud de camping, nous pûmes prendre le petit déjeuner et le dîner dans notre chambre.
Ce n'est qu'en décembre 1945 que nous pûmes emménager au 56a avenue de la République, et faire venir nos enfants de Suisse.
C'est donc à Colmar que, dès, le début, j'eus à exercer mon activité.
Le grand rabbin Ernest WEILL ne manifestant pas l'intention de rentrer à Colmar (on pensait alors que c'était une décision provisoire), je fus amené à le remplacer tout en restant titulaire du poste rabbinique de Wintzenheim. Je devins le délégué du grand rabbinat du Haut-Rhin et du Rabbinat de Colmar, et j'en vins également à assumer la charge de secrétaire administratif du Consistoire, puisque Lucien SCHWAB, qui occupait ce poste, n'avait pas l'intention de revenir.
D'entre les membres du Consistoire, seuls étaient revenus Gaston PICARD et Joseph LEHMANN. Ce n'est pas faire injure à la mémoire du dernier, que de dire que c'est avec Gaston PICARD que j'eus à faire. C'est d'ailleurs lui qui, avant la Guerre faisait fonction de président de la Communauté de Colmar. Je le connaissais depuis cette époque. J'avais alors donné des cours à son fils Bernard, et nous avions eu, dès lors, des rapports cordiaux.
Je crois que nous pûmes œuvrer ensemble de manière efficace, et je ne saurais assez me féliciter d'avoir travaillé avec un homme qui alliait un bon sens, une vive intelligence, à un dévouement dont j'ai été témoin pendant les années que dura notre collaboration. A vrai dire, pendant un certain temps, nos rapports furent quotidiens, car il fallait travailler à la reconstruction des Communautés du Haut-Rhin.
Ce qui précède n'a pas pour ambition de décrire de manière exhaustive la situation telle qu'elle se présenta lors du retour, mais de donner une idée de problèmes auxquels on se trouva confrontés, et auxquels nous essayâmes de trouver une solution, Gaston PICARD, en tant que responsable, à la fois du Consistoire du Haut-Rhin et de la Communauté de Colmar, et moi-même, à la fois en ma qualité de délégué du Rabbinat de Colmar et de celui du grand rabbinat du Haut-Rhin, ainsi que de secrétaire administratif du Consistoire, et ceci jusqu'en 1947. Car c'est au cours de cette année qu'eurent lieu des élections pour la reconstitution du Consistoire et d'une commission administrative pour la Communauté de Colmar, et ma nomination comme rabbin de Colmar et grand rabbin du Haut Rhin. Je dois ajouter, que pendant la plus grande partie de la période d'entre les deux guerres mondiales, il n'y eut pas de commission administrative pour la Communauté de Colmar, et c'est un membre du Consistoire du Haut-Rhin, qui en assurait la gestion. Cette situation était due au fait que le Grand Rabbin WEILL avait fait enlever l'orgue de la Synagogue.
De ce point de vue, l'élection d'une commission administrative constitua une nouveauté. Son premier président fut Oscar ROTH, qui, entouré d'une équipe efficace, œuvra avec dévouement et capacité pour le plus grand bien de la communauté, jusqu'à son dernier jour.
C'est fin juin 1986 que je pris ma retraite. Il ne peut donc être question de relater tous les évènements auxquels j'ai été mêlé, et tout ce qui m'a été donné d'accomplir pendant une si longue période. D'ailleurs le voudrais-je que j'en serais bien incapable, car au fil du temps, tant de souvenirs ont été gommés de ma mémoire. Aussi ne vais-je pas m'attacher dans la suite de mon récit, à celui des problèmes auxquels j'ai tenté de donner une réponse, et je me limiterai à ce qu'il y eut à faire dans le cadre de la Communauté de Colmar.
Nous procédâmes de la façon suivante :
Là où le bâtiment avait été épargné, il fallut procéder au remeublement
intérieur : Bancs, Almemor (Estrade), Aron Hakodech (Arche sainte), bref tout le mobilier
nécessaire. Exemple : Colmar.
Dans des localités où nous pensions que des offices réguliers pouvaient encore avoir
lieu, ne serait-ce que pendant un certain temps, nous fîmes construire de
nouveaux lieux de culte. Ils se présentèrent comme des bâtiments facilement
transformables en habitations.
Dans des lieux, où dès le retour, il fut manifeste qu'il y aurait plus de
communauté, comme Hattstatt ou Biesheim, nous laissâmes les choses dans l'état
où nous les trouvâmes.
Quant aux offices du Shabath et des fêtes, ils furent célébrés dans une salle de la Maison des Artisans, sis dans la rue du même nom, puis dans la superbe salle de la Décapole du Koïfhus, et ceci, grâce à la Municipalité, Monsieur ROWINSKI, revenu de Limoges, reprit ses fonctions de 'hazan (chantre), souvent secondé en semaine par le professeur Robert SAMUEL.
Or, j'appris que s'était créé, à Paris, un organisme appelé : "Fonds de Démarrage économique". Je crois que son fondateur fut Marc JARBLUM, qui m'avait été d'une grande aide, pour secourir de toutes les façons possibles, les victimes des persécutions anti-juives décrétées par Vichy, grâce à son "Fonds Juda HALÉVY pour le développement des études juives." J'écrivis donc au "Fonds de Démarrage économique", et obtins d'être son représentant à Colmar. Je pus apporter une aide pécuniaire à certains commerçants, grâce à cet organisme. Ce qui leur permit de "redémarrer".
Par contre, lorsqu'il s'agissait d'un dénonciateur, par exemple, ou de quelqu'un qui avait manifesté un zèle particulier, et fait du tort à autrui, on n'intervenait pas en vue de supprimer sa peine.
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