Robert (Yoël ben Yerouham) Nerson appartenait à une vieille famille alsacienne ; son père était avec son frère à la tête d'un commerce de charbon à Strasbourg. Ils étaient mariés à deux sœurs, formant ainsi une double cellule familiale très unie. Dans chaque branche un garçon fit ses études de médecine ; Robert fut précédé dans la carrière par son cousin Henri, brillant obstétricien qui, après sa retraite, acheva sa vie à Jérusalem auprès de sa fille, de son gendre et de ses petits-enfants. Il fut, lui, un pédiatre, ou plus précisément un médecin de famille, qui exerça avec un admirable dévouement aussi bien en France qu'en Israël.
Jusque là rien que de très naturel. Mais, comme Henri Nerson, Robert avait la passion de l'étude juive; Ayant adhéré, pendant ses années universitaires, à la communauté strasbourgeoise de stricte observance, dont la synagogue de la rue Kageneck était, sous l'égide du regretté rabbin Robert Brunschwig, un foyer de judaïsme intense et distingué, il ne cessa pas désormais, tous les jours de sa vie, de suivre des cours et d'acquérir des connaissances par des lectures personnelles. Quand il lui parut utile de le faire, il partagea volontiers son savoir et ses convictions avec ceux qui l'approchaient, dans un esprit de profonde générosité et de compréhension humaine.
Devenu docteur en médecine, il a épousé en novembre 1938, Yvonne REIN (1911-1996), l'une des onze enfants de Nathan et Sophie REIN-SAMUEL, de Mulhouse, appartenant elle aussi à un milieu de piété totale et éclairée, et partit avec elle s'installer dans la minuscule bourgade alpine de Boëge (Haute-Savoie). Ce geste courageux lui donna, sous l'occupation hitlérienne, des possibilités inattendues d'assistance à sa famille et à ses amis, à la fois parce que c'était un coin perdu de campagne et parce que Boëge était proche de la frontière suisse. Lorsque sa position, comme juif et comme résistant, devint trop dangereuse, en novembre 1943, il passa lui-même avec ses deux bébés et sa femme enceinte en territoire helvétique.
Médecin au camp de réfugiés de Morgins, il y organisa des cours de secourisme. Dès la Libération en 1944, il regagna la France et fut chargé des services médicaux de l'OSE (Œuvre juive de Secours aux Enfants) à Lyon. Mais en 1947, avant même la création de l'Etat d'Israël, Robert Nerson tint à accomplir son destin juif en abandonnant tout son passé pour "monter" en Terre Sainte. Peu de temps après, il ouvrait un cabinet médical à Pardès-Hanna.
Malheureusement, il fut atteint quelques années plus tard par des troubles cardiaques, et malgré les précautions prises, et peut-être parce qu'il pensait plus à ses malades qu'à lui-même, il succomba à une nouvelle attaque en 1962.
Il laissait, avec le souvenir d'un juste, modèle d'altruisme et de modestie, plusieurs manuscrits consacrés à l'approfondissement des valeurs du judaïsme. Son commentaire de la Haggada fut publié en 1966.
En 1997, sa famille a publié un recueil de ses textes : Au fil de l'année juive et autres textes inédits (Ed. Association Premiers Pas, Strasbourg).
PREFACE
Je mesure avec une très vive émotion le privilège de présenter cette Haggada de Pâque, traduite et commentée par notre inoubliable docteur Robert-Joël Nerson זצ"ל . Elle vient vers nous, en France, comme un message d'Israël, où elle fut méditée et rédigée en langue française, et ce voyage est donc un retour, puisque Robert. Nerson est né en France, en 1910, où il a passé ses années de jeunesse, d'adolescence, de première maturité, jusqu'à son alya, en 1947, et que c'est en France, dès 1943, en pleine guerre, que le projet en a été conçu et que les premières pages en ont été composées.
Elle vient vers nous aussi comme un message posthume, puisque le manuscrit en était à peine achevé, à Pardès-Hanna, en 1962, lorsque Robert Nerson a été enlevé, soudain et beaucoup trop tôt, à sa famille, à ses amis, à la communauté juive tout entière. Et cette disparition prématurée de Robert Nerson nous remplit encore de regrets et de tristesse, qui tempèrent la joie de pouvoir accueillir cette publication.
Nous avons connu Robert Nerson adolescent et étudiant, à Strasbourg, ouvert avec une curiosité et une aptitude remarquables à la culture juive et à l'instruction générale que les traditions de sa vieille famille d'Alsace et de sa communauté de la rue Kageneck lui prodiguaient d'une manière égale et équilibrée. Jeune médecin, il fait partie de ce groupe important d'intellectuels rompus à toutes les disciplines de l'Université mais profondément attachés à la foi et à la pratique religieuses. Quelques mois avant que n'éclate la guerre, il trouve en Yvonne Rein, de Mulhouse, une compagne digne de lui, mais le jeune foyer renonce à l'attrait des grandes villes et s'installe à Boëge, en Haute-Savoie, où Robert Nerson exerce la difficile vocation de médecin de campagne, avec la conscience et le dévouement qui resteront les siens durant toute sa carrière médicale.
Y avait-il eu quelque pressentiment dans le choix de cette bourgade perdue, qui deviendra, dans les années terribles de la guerre et de l'occupation, un lieu de refuge et de sécurité provisoires pour les proches et pour tant d'amis accueillis par Robert et Yvonne Nerson ? En Nissane 1943, au coeur de la tourmente, Robert Nerson commence la rédaction d'un commentaire de la Haggada de Pessah, mais a-t-il le temps de s'y consacrer vraiment ? On franchit en hâte et clandestinement la frontière proche et c'est en Suisse, jusqu'à la fin de la guerre, un apostolat médical auprès des enfants juifs réfugiés dans les camps. Après la Libération, l'apostolat continue, à Lyon, auprès de l'O.S.E. missions dans les camps de personnes déplacées en Allemagne, missions aussi dans les maisons d'enfants de l'O.S.E. en France, toutes tâches auxquelles le docteur Robert Nerson a le souci de donner, en plus de leur caractère médical, un contenu moral, religieux et pédagogique. Qui des Lyonnais de ces années 1945 à 1947 ne se souvient des cours, des conférences, des allocutions, que Robert Nerson prodiguait alors dans les mouvements et les maisons de jeunesse avec une persuasion convaincante et un enthousiasme communicatif ? Qui n'a lu, à cette époque, les études et les articles sur de nombreux thèmes de la pensée juive, et notamment sur les prophètes bibliques, que Robert Nerson publiait alors dans Yechouroun, dans l'Unité et dans d'autres revues de cette époque héroïque de la reconstruction, à laquelle il apportait ainsi sa notable contribution ?
Mais une fois les brèches les plus béantes colmatées en France, c'est un autre idéal de reconstruction qui appelle irrésistiblement le docteur Robert Nerson l'édification de l'antique Etat juif qui resurgit sur la Terre Sainte. Robert et Yvonne Nerson sont parmi les tout premiers olim de France : ils "montent" en 1947, un jour après le vote de l'O.N.U. sur l'établissement de l'Etat juif, et l'on devine les Hévlè alya, les épreuves qui les attendent et qu'ils affrontent avec la sérénité du devoir accompli en son heure historique.
On lira, dans ce volume, le témoignage d'un ami d'Israël sur l'activité médicale du docteur Robert Nerson, à Pardès-Hanna : elle fut toute de dévouement, de désintéressement, de sacrifice. Sur sa piété exemplaire aussi, et le rayonnement de sa foi : il les a transmis, lumineux, à ses enfants, en leur léguant aussi le manuscrit de son commentaire de la Haggada de Pâque, auquel il n'avait cessé de travailler, littéralement jusqu'à son dernier souffle.
Dans une page émouvante qu'on lira dans ce volume, Hayim Nerson, le fils de Robert-Joël Nerson, s'interroge sur les raisons qui ont pu déterminer son père "à s'adonner corps et âme à l'interprétation du récit de la Pâque, de la Haggada". La réponse, il l'aperçoit dans la force d'attraction que devait exercer sur son père le mystère de la naissance du peuple juif, de son évolution et du développement, au sein de cette évolution, d'une tradition religieuse et nationale si riche et si bienfaisante. Vue d'Israël, avec les yeux d'un jeune Israélien pour qui l'aventure du peuple juif est inséparablement liée à son récent avènement national, la réponse est certainement correcte, et l'alya de Robert Nerson constitue avec évidence le tournant décisif de sa vie.
Toutefois, pour ceux qui ont connu Robert Nerson avant son alya, la réponse ne perd rien de sa force, si l'on découvre également les racines galoutiques de l'amour qu'il a voué à la Haggada. Tant de Juifs n'ont-ils pas trouvé, dans la Haggada de Pessa'h, les questions et les réponses à l'angoissante épreuve de l'exil ? J'y pense en revoyant mon propre père זצ"ל qui fut si amicalement lié aux Nerson, penché sur les Haggadoth manuscrites dont il enlumina quatre, comme les quatre coupes, une pour chacune des années que dura la guerre. Dans le commentaire de Robert Nerson également, on a l'impression de puiser aux deux sources simultanées de l'Epreuve et de la Résurrection, et l'alya est comme une option autour de laquelle se reconstitue et trouve son véritable sens l'ensemble de cette belle existence juive. Puisse cette Haggada, dans la lignée des Haggadoth d'Edmond Fleg et de Joseph Bloch, porter le nom de Robert Nerson dans les foyers juifs de France et bénir les soirées du Seder, en hommage à sa mémoire.
NOTE DE L'EDITEUR
La traduction du texte de la Haggadaété revue par le rabbin D. Gottlieb. Celui-ci a également révisé le commentaire du Dr. Nerson on ne sait si ce dernier avait destiné ses notes à la publication ; toujours est-il que l'auteur n'a pu mettre la dernière main à son travail.
Quelques modifications d'ordre matériel ou littéraire ont dû être apportées à la forme et à la présentation de l'ouvrage. Toutefois, la pensée de l'auteur a été respectée aussi fidèlement que possible.
Le texte hébraïque de cet ouvrage est, en grande partie, celui de la Haggada du grand rabbin Joseph Bloch., à qui nous exprimons ici nos vifs remerciements.