HOMMAGE
La disparition du Professeur Roland Goetschel
par le professeur Paul B. Fenton
Extrait de ACTUALITÉ JUIVE, n°1775 – 20 mars 2025


photo : © Michaël Grynszpan
Le dimanche 9 mars s’est éteint à Jérusalem dans sa quatre-vingt-quinzième année celui qui fut, sans conteste, le doyen des études juives en France. Né à Strasbourg en 1930, au sein d’une famille juive alsacienne traditionaliste, Roland Goetschel apprit les rudiments du judaïsme et du sionisme au mouvement de la Jeunesse juive de Strasbourg, fondé par le grand rabbin Abraham Deutsch (1902-1992). Pendant la seconde guerre, la famille s'exila à Brive-la-Gaillarde, en Corrèze, où il poursuivit ses études avec André Neher (1914-1988), alors professeur d'allemand. Cest là qu’il célébra sa bar-mitzva et s'affilia aux Éclaireurs israélites avant que ceux-ci ne rentrent dans la clandestinité.

En septembre 1945, il rejoignit le camp du Chambon-sur-Lignon où il fit la connaissance de Jacob Gordin (1896-1947). En 1952, Roland obtint une licence de philosophie à l’université de Strasbourg où il fréquentait le Merkaz. Affecté profondément par l’exil au cours duquel son père faillit être arrêté par la Gestapo, Roland se mit en quête d’une identité juive plus engagée et partit ensuite à Paris pour intégrer l’école d’Orsay, dirigée alors par Léon Askénazi (Manitou) (1922­1996). Sous l’effet de "l’éblouissement intellectuel" qu’il y ressentit, il contribua par ses premiers articles à la revue orseyenne Targoum. Dans le même temps, il milita activement à l'Union des étudiants juifs, dont il devint le vice-présljhguikytikident parisien.

Parti ensuite dans le cadre de la coopération au Maroc (1958-60), il enseigna à Oujda où il découvrit le judaïsme séfarade. De retour en Alsace, il entama une carrière de professeur de philosophie dans divers lycées de la région. À la suite de la soutenance de sa thèse de troisième cycle préparée avec André Neher, il fut nommé en 1969 maître-assistant à l’université de Vincennes (Paris VIII) au département d'hébreu dirigé par Haïm Zafrani (1922-2004). Il entreprit alors un doctorat d’État sous la direction de Georges Vajda (1908-1981). Sa thèse portait sur l’œuvre du kabbaliste ibérique Meïr Ibn Gabbay et fut soutenue en Sorbonne en 1977.

Pr. Paul B. Fenton

À la suite de l’alyah d'André Neher à Jérusalem, Roland lui succéda en 1976 comme directeur de l’Institut d’hébreu à l'université de Strasbourg II, où il resta jusqu'en 1991, date à laquelle il fut nommé à la Sorbonne (Paris IV) à la chaire de Langue et de Civilisation hébraïques, qu’il occupa jusqu'en 1996.
À Paris, mais aussi à Bruxelles à l'Institut Martin Buber, Roland déploya diverses activités au sein des institutions juives et universitaires jusqu’à son l’alyah en 2001, où il s’installa à Jérusalem avec son épouse Nicole, décédée en 2019.

L'oeuvre scientifique de Roland s’inscrit dans la continuation de l’école de Georges Vajda portant sur les études de Kabbale et de philosophie juive médiévale, auxquelles Roland ajouta la pensée juive d’expression allemande. Sa contribution majeure demeure son Meïr ibn Gabbay : Le discours de la Kabbale espagnole, publiée à Louvain en 1981.

Il était la cheville ouvrière des études juives universitaires en France, son engagement communautaire également ne fut pas moins brillant. Avec son érudition, doublée d’une modestie exemplaire et d’un bon sens de l’humour, il réalisa l’idéal de "Torah ‘im Derekh Eretz", "la Torah à la manière du monde".

Jusqu’au jour de sa disparition, Roland ne cessa jamais d’étudier et d’enseigner. Philosophe et exégète, connaisseur de la culture allemande et juive, il fut un exemple admirable de la manière dont des traditions diverses peuvent cohabiter harmonieusement en une seule et même personne. Roland laisse derrière lui une nombreuse descendance fidèlement attachée aux valeurs du judaïsme et du sionisme.
Que son souvenir soit une bénédiction !


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