Le 10 novembre 2001, le collège de Sarre-Union prend officiellement le nom de Pierre Claude. La cérémonie du baptême a eu lieuen présence du principal du collège, Roland Ehrbar, du député Emile Blessig, de l'inspecteur d'académie jean Laval, du président du conseil général Philippe Richert, du maire de Sarre-Union Marc Séné, du conseil général Denis Lieb, de la famille de Pierre Claude, son fils Pierre Cerf et son petit-fils Jacques Wolff.
Discours de M. Roland EHRBAR,
Principal, lors du baptême du Collège
10 novembre 2001
Extrait d'une brochure composée par les élèves du Collège
pour commémorer l'événement, sous la direction de Jacques
WOLFF (la plupart des documents visuels qui illustrent ce dossier sont également
extraits de cette brochure.
(
) Je suis particulièrement heureux de vous accueillir aujourd'hui
au Collège de Sarre-Union afin d'en célébrer le baptême.
Depuis sa construction, en 1967, il n'avait pas de nom. Cette lacune a été
comblée l'année dernière, le 26 juin très exactement,
date à laquelle la Commission permanente du Conseil général
a retenu la proposition de dénomination du Collège qui porte désormais
le nom de "Pierre Claude".
De dr. à g. : le principal du collège, le fils
et le petit-fils de Pierre Claude
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Pierre Claude, de son vrai nom Léon Cerf, est né à Sarre-Union
le 21 juillet 1893 de David Cerf, commerçant en tissus, et de Mathilde
Geismann.
Après des études secondaires au Lycée de Sarreguemines
il réussit son baccalauréat.
Lorsqu'éclate la guerre, en 1914, il effectue son service militaire dans
l'armée allemande. Son passage dans l'armée, qui ne devait durer
qu'un an, se prolongera en fait pendant quatre années supplémentaires.
Pour avoir refusé de porter les armes contre la France il est traduit
en cour martiale. Condamné à mort, il réussit heureusement
à s'évader.
En 1931, Pierre Claude publie son premier roman, autobiographique, Elsass-Lothringer
in Feldgrau, en français Les Alsaciens-Lorrains sous l'uniforme
allemand, dans lequel il raconte les brimades dont ont été
victimes les alsaciens-Lorrains à la caserne comme au front.
Dès cette époque il collabore à plusieurs journaux : La
République, L'Illustrierte et Les Dernières Nouvelles
de Strasbourg qui publient ses contes et poèmes.
En 1934 paraît son roman Friede
am Rhein, Paix sur le Rhin, qui fut adapté
au cinéma par Jean Choux, avec des interprètes aussi célèbres
à l'époque que Françoise Rosay, Dita Parlo, John Loder
ou encore Pauline Carton. Dans cette uvre il évoque le drame d'une
famille alsacienne dont le fils est soldat français et l'autre soldat
allemand.
En 1939, Pierre Claude est évacué avec sa famille en Charente
Maritime où il dirige le journal des réfugiés de l'Est
à l'Ouest. Après la défaite de la France, en 1940,
pour fuir l'occupation, il se réfugie en zone libre, à Bergerac.
Traqué par la gestapo, comme tous les juifs, il échappe de peu
à la mort.
En 1949 il publie son dernier roman Patriotismus
gegen bar, en français Patriotisme au comptant, dans lequel
il dénonce les compromissions de la grande bourgeoisie alsacienne avec
l'occupant, au nom de ses seuls intérêts.
De 1947 à 1951, Pierre Claude collabore à la page "Arts et
Lettres" des Dernières
Nouvelles d'Alsace en langue française cette fois. Il meurt des suites
d'une opération le 9 juin 1951. Pierre Claude était Chevalier
de la Légion d'Honneur et membre de la Société des Gens
de Lettes de France.
En proposant le nom de Pierre Claude, le conseil d'Administration du Collège
a choisi d'honorer la mémoire d'un être dont le parcours fut exemplaire.
Malgré son expérience douloureuse dans l'armée allemande
pendant la première guerre mondiale et malgré les persécutions
dont fut victime le peuple juif sous l'occupation nazie, Pierre Claude a fait
le pari de la réconciliation et celui d'une Europe unifiée, enfin
débarrassée de ses vieux démons.
A la lecture de son oeuvre, et malgré les épreuves qu'il a traversées,
on ne ressent aucun sentiment de haine. Bien au contraire, Pierre Claude qui
ne désespère jamais des hommes, nous délivre un message
de paix et de fraternité. Il proclame haut et fort sa foi en un monde
meilleur, car il ne doute pas un instant que la force aveugle ne peut venir
à bout d'une cause juste.
La stèle avec le portrait de Pierre Claude
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"Plus fort que le glaive est mon esprit". Cette parole du prophète
Zacharie au chapitre IV verset 6 dans l'Ancien testament est gravée au
fronton de la grande synagogue de Strasbourg.
"Plus fort que le glaive est mon esprit". C'est avec cette tranquille
assurance que Pierre Claude a traversé les épreuves qui ont marqué
la vie de sa communauté et celle des Alsaciens en général.
Les jeunes générations imaginent mal ce qu'ont vécu leurs
aînés, arrachés à la mère-patrie en 1871.
A cette époque l'Alsace a souffert de l'autoritarisme, de l'attitude
méprisante des Prussiens et de la défiance qu'elle leur inspirait.
Pendant cinquante ans elle a vécu dans l'espoir d'un retour à
la France tout en sous-estimant certainement les difficultés.
Car imperceptiblement mais de façon inévitable, un fossé
s'était creusé, ne serait-ce qu'au niveau de la langue.
Les retrouvailles avec la France, en 1918, furent moins faciles qu'on aurait
pu le penser. Et vingt ans plus tard, l'histoire bégaya. Ce fut le retour
du cauchemar, sous un régime totalitaire cette fois, avec pour Pierre
Claude et les siens la nécessité, vitale, d'échapper aux
persécutions nazies et à la déportation.
Ce mal-être des Alsaciens, Pierre Claude l'exprime très bien dans
son uvre. Traîtres pour les uns, trop marqués par la culture
germanique pour les autres, les Alsaciens, et Pierre Claude en premier, avaient
compris que le seul espoir pour eux de mettre un terme à cette ambiguïté
était la réconciliation franco-allemande dans une Europe qui surmonterait
ses égoïsmes nationaux.
S'il pouvait revenir parmi nous, Pierre Claude apprécierait sûrement
le chemin parcouru. Dans moins de deux mois maintenant, les Européens
auront une monnaie commune et si nous en sommes là, c'est bien grâce
à des hommes comme lui !
De l'avis de tous ceux qui l'ont connu, Pierre Claude était une personnalité
attachante, pleine d'humour, un amoureux de l'Alsace, de sa ville natale Sarre-Union
et de Strasbourg où il avait choisi de s'établir.
Les pages qu'il a consacrées à Strasbourg sont parmi les plus
belles de son uvre. Elles constituent autant de déclarations d'amour.
Sous nos yeux défilent la silhouette gracieuse de la cathédrale,
les berges romantiques de l'Ill, les allées bien ordonnées de
l'Orangerie, les places, les rues et les avenues bordées d'élégants
édifices qui font, à juste titre, la fierté des Strasbourgeois
et de tous les Alsaciens.
Oui, Pierre Claude, l'enfant de Sarre-Union, aimait l'Alsace et aujourd'hui
l'Alsace et Sarre-Union le lui rendent bien.