PAIX SUR LE RHIN
Le film interdit
1938
par Christian GANDER
La période de proche avant-guerre a été fertile, en Alsace,
sur le plan cinématographique. C'est à la fin des années
30 qu'ont été tournés par exemple une version de l'Ami
Fritz, d'après le roman d'Erckmann-Chatrian,
ainsi qu'une Vie de Bartholdi et Paix sur le Rhin.
En 1938, Jean
Choux a réalisé Paix
sur le Rhin, d'après le roman, écrit en langue allemande,
par Léon Cerf, qui avait choisi pour nom d'artiste le prénom de
son fils, Pierre Claude. Cette oeuvre est d'autant moins connue aujourd'hui
que sa diffusion a été interdite avant même le début
de la seconde guerre mondiale.
Ce n'est qu'après de longues recherches menées avec beaucoup de
ténacité par Pierre-Claude Cerf et notamment Georges Delon qui
a réalisé un film documentaire sur le cinéma en Alsace,
que cette uvre a finalement été retrouvée, dans les
rayonnages de la cinémathèque nationale, à Paris.
"Mon père, raconte Pierre-Claude Cerf, était un Européen
avant l'heure, un humaniste, qui voulait uvrer pour une meilleure compréhension
entre les peuples."
Dans son roman Friede am Rhein,
Léon Cerf raconte l'histoire d'une famille de vignerons de Thann, les
Schaefer, après la première guerre mondiale. L'un des fils, Edouard,
a vécu le conflit sous l'uniforme français puisqu'il avait été
surpris à Nancy par le début des hostilités. Il s'était
alors porté volontaire pour servir sous le drapeau tricolore.
Son frère Emile a connu la guerre sous l'uniforme allemand. Tous deux
reviennent sains et saufs, mais accompagnés respectivement d'une Française
et d'une Allemande. On assiste alors à une lente réconciliation.
Des vedettes
Ce thème a séduit le réalisateur français Jean choux, qui a notamment tourné Jean de la Lune. S'appuyant en particulier sur le producteur Emile Fleg, il a recruté des acteurs alors célèbres, comme Pauline Carton pour jouer le rôle d'Anna, la servante des Schaefer, mais aussi la vedette allemande Dita Parlo ou la star française Françoise Rosay, ou encore Jeanne Helbling.
Il y avait aussi une certaine Marianne Stosskopf, fille de Gustave, mais elle ne tenant qu'un tout petit rôle. Elle a fait son chemin ensuite, jouant notamment Antigone de Jean Anouilh, sous le nom de Marianne Asel.
Le bâiment de la Metzig à Molsheim, qui apparaît
dans le film
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Pierre-Claude Cerf, alors âgé de 11 ans, et sa soeur Jeanne, son
aînée de sept ans, ont fait un peu de figuration, notamment lors
d'une scène tournée à Molsheim, à la Metzig (la maison
de la Corporation des Bouchers), dont le superbe balcon et le double escalier
avait tapé dans l'il du réalisateur. Et marqué la mémoire
de Pierre-Claude qui, comme sa sur Jeanne, se rappelle qu'il avait fallu
monter et descendre ces escaliers un nombre incalculable de fois, jusqu'à
obtenir "la" bonne prise.
Si le roman de Léon Cerf a été édité en 1934 en Suisse, le film a été tourné au cours de l'année 1938, en Alsace bien évidemment. L'équipe de tournage a voyagé entre Thann, Strasbourg et Molsheim, en faisant ici et là d'autres étapes, par exemple à Dambach-la-Ville : c'est sur une vue de la chapelle Saint-Sébastien que démarre le film.
A sa sortie, le film a été largement diffusé, mais il a été très rapidement interdit par l'administration française "car il aurait porté atteinte au morale de la nation" se rappelle Pierre Hochwelker, l'ancien directeur du cinéma Vox à Strasbourg. Son père avait bien connu Léon Cerf. "La censure n'aimait pas les appels au pacifisme".
Propagande
Les services
nazis avaient visiblement le même point de vue à une nuance près.
Léon Cerf a été contacté dès avant le début
de la seconde guerre mondiale par les services de la propagande nazie. Ils auraient
aimé reprendre les droits du film, afin de le modifier quelque peu. Ne
serait-ce qu'en faisant du vilain profiteur de guerre, de celui qui rachèterait
à bas prix les biens des familles des victimes du conflit, un juif caricatural.
Léon Cerf a tout naturellement refusé.
Cela n'a pas empêché le film de disparaître, même s'il a encore été projeté en Suisse, où circulaient cinq ou six copies.
Lors de ses recherches effectuées à la cinémathèque, Pierre-Claude Cerf a découvert que le film avait été déposée "par un inconnu" en 1944. Ensuite, plus de traces. "J'ai cherché pendant plus de dix ans et, un beau jour, on me téléphone pour me dire que qu'on l'avait retrouvé. je vais donc à Paris pour le voir, mais il y avait un Mickey dans la boîte
"
Pierre-Claude ne s'est pas découragé. A un moment il a même entendu que le Conseil de l'Europe envisageait de tourner une nouvelle adaptation du roman. Mais cela ne s'est pas fait, pas plus que la transcription sur pellicule, par des cinéastes américains, d'un autre ouvrage de Léon Cerf, un conte intitulé Il voulait rester chez lui, dans la même veine pacifiste.
Ce n'est que plus tard, en 1992, que la piste aboutit : le film a été racheté, le 20 décembre de cette année-là, par la société René Château. Le film était en très mauvais état, et René Château a consacré des semaines importantes à sa restauration.
Projection du film au Collège Pierre Claude
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C'est ainsi que Paix sur le Rhin a pu être diffusé sur Arte
en octobre 1996, dans la foulée des Deux Mathildes. "Mon souhait,
explique Pierre-Claude Cerf, serait que le film passe une fois, également
sur la télévision régionale. Ce serait vraiment bien !"
Peut-être quelqu'un voudra-t-il exaucer ce vu.
Pierre-Claude y verrait un hommage à son père, mais aussi aux idées
qu'il n'a pas cessé de défendre jusqu'à sa mort, en 1951.
D'une façon ou d'une autre, cette homme d'espérance et de fraternité,
né à Sarre-Union en 1893, aura écrit un bout d'histoire alsacienne.