LES LUMIERES DE HANOUCCAH
par le grand rabbin Simon Morali
extrait de L'Arche-Côte d'Azur, 1974
Mis en ligne sur Calameo par Danielle Morali, Nancy le 30 novembre 2021


Hanouccah va nous redonner la joyeuse occasion d'illuminer nos demeures et nos Synagogues. Pendant huit soirs, selon un rythme d'intensité croissant, car la lumière, image du souvenir et de l'espérance, de la victoire et de la foi, ne peut être que progressive dans les aspirations humaines, la lumière de Hanouccah va célébrer la Fête des Lumières. Qu'elle soit la flamme de la petite bougie de couleur ou du petit godet à l'huile, qu'elle ait pour support la merveilleuse Hanoukia en cuivre ciselé ou la simple planche de bois ou la coquille de noix, elle aura un même cachet de "sainteté". Elle attirera fixement notre regard, elle nous réjouira, elle élèvera nos pensées vers Dieu tandis que par le rappel rapide d'un moment du passé, elle autorisera toutes les saintes espérances. Elle nous redira dans son langage flamboyant : il n'y a pas de domination définitive ici-bas, tout esclavage connaît sa libération, la grande "libération" sera le fruit de l'esprit de Dieu, généralisé en tout homme, et non de la force ou de la puissance matérielle toute impressionnante ou terrifiante serait-elle.

Dans sa tradition comme dans son histoire, le judaïsme marque la lumière du sceau sacré. Non pas à la façon du paganisme qui en faisait un tabou. Elle est création de Dieu, elle a droit à une prière pour remercier Celui qui l'a créée : boré méorei haèch. Elle est l'image à laquelle se compare ce qui vient de Dieu et assure la vie faite d'élévation et de bonheur. Elle brille dans bien des manifestations de notre vie religieuse où elle exprime la joie, la sérénité, la foi, le salut. C'est la lumière que l'Eternel créa au début de la Création par un ordre laconique qui devait tirer le monde du chaos et des ténèbres. Yehi Or ! "Voilà la première création et la première pensée du Créateur : la Lumière. Voilà le premier devoir et la première loi d'Israël : la Lumière. Voilà enfin la grandeur et l'avenir de l'humanité : la Lumière".

Le Psalmiste n'a pas manqué de s'écrier : "Dieu est ma lumière", l'homme pieux ne cesse de demander : "Envoie-moi ta divine lumière, la Vérité qui me guide". La lumière a toujours été présente dans nos Maisons de Prières. Au Temple brûlait sans jamais devoir rester éteinte le Ner Tamid, la Lampe perpétuelle, que nous continuons toujours à perpétuer dans les Synagogues. Il y avait aussi la Ménorah, le Candélabre à sept branches, à sept branches, dit un brillant commentaire, parce qu'à l'époque on connaissait sept planètes et on voulait ainsi confondre tous les mondes dans une même adoration d'un Unique Père. Sept branches, dit un autre commentaire, parce que sept sciences étaient pratiquées et l'on voulait exprimer ainsi le souhait que science et religion se rejoignent dans la clarté d'une même flamme de l'esprit. Et cette Ménorah allumée par Aaron plaisait beaucoup au Seigneur, souligne un texte, car Dieu se réjouissait de voir qu'à son tour, l'homme devenait créateur de lumière.

Le Juif pieux n'aime pas beaucoup séjourner dans l'obscurité, surtout pour prier. L'obscurité n'est-elle pas recherchée par les pécheurs, par les "méchants" par tous ceux qui redoutent que leurs actions paraissent au grand jour ? Nos synagogues sont généralement bien éclairées. Certains pensent même qu'elles le sont de trop et qu'elles n'offrent pas, de ce fait, une ambiance propice à la méditation sinon au Mystère. La tradition juive préfère la lumière et une synagogue obscure indispose les fidèles. Il n'y a pas de maisons juives où un début de Shabath ou une veille de Fête ne seraient pas salués par les "lumières" allumées par la maîtresse de maison. Par son geste pieux rappelé de maison en maison, de contrée en contrée, et de génération en génération, elle dit tout à la fois qu'elle est la "prêtresse" du foyer juif et que si le judaïsme ne lui reconnaît pas une égalité entière, comme l'homme en face des obligations rituelles, il lui accorde par contre la primauté de la direction religieuse et morale de la famille. "La bénédiction de Dieu pénètre dans le foyer, grâce aux mérites de l'épouse" dit un adage. Cela est tout à fait vrai, quand l'épouse comprend et réalise sa place, sa mission et sa vocation familiale et sociale. Par son geste pieux, elle contribue à faire du Shabath un jour distinct des autres, par lui elle instaure un monde de sérénité, de joie et de ferveur. Par son geste de double allumage, car tout se place sous le signe du dédoublement le Shabath, elle rappelle aux gens de la maison que chaque Juif reçoit en ce jour une "âme supplémentaire". Elle rappelle le geste que Dieu lui-même avait fait en faveur de la tente de notre Mère Sara où brillait une lumière qu'Il renouvelait de Shabath en Shabath. Par son geste de lumière et de fidélité à la Tradition, elle se déclare prête enfin à réparer la faute d'Eve qui par sa faute priva de lumière l'âme de son époux.

"Lumière de Dieu est l'âme de l'homme". Aussi bien, est-ce une belle tradition de notre Foi, de faire briller une lumière en souvenir d'un être cher qui nous a quittés ! Nous ne voulons pas de l'anéantissement total, nous refusons le néant après la vie d'ici-bas. Nous voulons parce que nos sentiments exigent une pareille survie que la meilleure partie de nous-même rejoigne des sources de lumière, des proximités divines. Pendant la première semaine de séparation, une lumière maintient au foyer mutilé une présence chère. Pendant toute l'année même. Et au jour anniversaire, le souvenir idéalisé d'un disparu revivra avec la flamme anniversaire, comme une lumière toujours présente à nos cœurs toujours aimants. Et cette lumière ne sera pas une consolation seulement. De sa flamme mobile aspirant sans cesse à s'élever, une exhortation jaillira, soit qu'elle nous fasse méditer sur la sainteté d'un Maître tel que Rabbi Chimon Bar Yochaï appelé "Lampe sainte", soit qu'elle nous fasse réfléchir à la sainteté de la mort de six millions de Juifs assassinés (*) dans un monde dépourvu de sainteté et même d'humanité. Dieu est appelé "Lumière", Israël est appelé à propager la Lumière divine, tous les peuples seront un jour recouverts de lumière. Telle est l'aspiration du judaïsme, tel est le besoin de l'humanité. Yehi Or !

* Le 10 Tevet a été choisi par le Grand rabbinat d’Israël comme jour de commémoration pour les victimes de la Shoah


hanouka Judaisme alsacien Traditions
© A. S .I . J . A .