Quand après l'institution de l'Etat Civil (20 septembre 1792), il s'avéra qu'en Alsace, pour de nombreux citoyens "ci-devant Juifs" il n'existait pas de documents officiels permettant d'établir leur identité, le Directoire du Haut-Rhin prit l'initiative de remédier à cette lacune et envoya une circulaire aux communes du département, le 28 Vendémiaire an 7 (19 octobre 1798), leur demandant de nommer des commissions qui auraient pour mandat d'organiser un recensement "pour constater l'Etat Civil des citoyens attachés au culte judaïque" ; pour ce faire, elles devraient interroger ces citoyens et consulter des papiers de famille ainsi que tout autre document.
Le dernier recensement des Juifs d'Alsace était le Dénombrement de 1784 ; mais il n'indiquait ni l'âge, ni la profession, sauf pour les rabbins, les maîtres d'école, les chantres et les domestiques.
Les Lettres patentes qui avaient institué ce Dénombrement avaient bien fait l'obligation aux Juifs de déclarer dorénavant, c'est-à-dire à partir de 1784, leurs "naissances, mariages et morts", mais cette obligation semble avoir été peu suivie, vu l'intention de ces Lettres patentes de limiter le nombre des Juifs en Alsace ; de toute façon les déclarations conservées aux Archives du Haut-Rhin sont assez rares.
La nouvelle circulaire de 1798 fut diversement appliquée et ne sont conservés aux Archives du Haut-Rhin que des documents à ce sujet pour Biesheim, Durmenach, Habsheim, Hattstatt, Jungholtz et Wettolsheim.
Etabli suivant les déclarations des familles, le registre de Hattstatt, arrêté le 13 Germinal an 7 (1799) contient la liste des Juifs vivant alors dans la commune, avec indication de leurs dates de naissance (la plus reculée est de 1715) et du nom de leurs parents.
Celui de Wettolsheim contient les noms des membres de la "ci-devant secte juive" nés avant 1793 avec les dates de naissance (date la plus reculée : 1719) et les noms des parents.
A Jungholtz les agents municipaux établirent un état des familles, famille par famille, aussi bien des Juifs que des Anabaptistes "weillen keine Register von deren Geburths, Heirathen und Sterbefällen deren gesagten Judenbürger und Wiedertäufer vorgewiesen waren" ["car aucun registre de naissances, de mariages et de décès desdits citoyens juifs et anabaptistes n'a été présenté"].
Les documents les plus complets sont conservés pour Durmenach où le rabbin et le chantre reçurent les déclarations des familles et consultèrent les documents et papiers de famille présentés ; à cette époque les Juifs constituaient la majorité de la population de la commune : sont conservés un registre des familles, un registre des naissances qui remonte à 1713 et contient 287 numéros, un registre de mariages (22 inscriptions), mentionnant la profession, un registre des décès des trente dernières années (1771 à 1793), 90 inscriptions. La limitation de trente années était prévue dans la circulaire.
LA MAPPA
On appelle "Mappa" le lange sur lequel reposait le jeune bébé au moment de sa circoncision.Dans les communautés achkenazes, la "mappa" est ensuite découpée et recousue en un long bandeau, sur lequel on brode ou dessine le nom de l'enfant, en formulant lesouhait qu'il puisse avoir le bonheur de célébrer sa bar mitsva, son mariage et de "bonnes actions ". A l'âge de 4 ans l'enfant apporte sa mappa à la synagogue et en entoure la Torah au moment de la "Gueula", après la lecture de la Torah. |
C'est ainsi qu'à Habsheim la Commission se fit traduire les "Mappen" et les carnets de deux circonciseurs afin d'établir l'Etat Civil des citoyens "confessant la religion hébreu (sic)". Il est conservé aux Archives du Haut-Rhin en photocopie le registre des familles de Habsheim, très complet, 36 déclarations sur 22 pages.
Pour Biesheim, il n'existe pas de registre des familles ; l'agent municipal avait chargé le rabbin et deux membres de la Communauté "alle drei in der hebräischen Sprache erfahren" ["tous les trois en hébreu"] de porter sur un registre le nom, la date de naissance, le nom du père de Juifs de la Communauté suivant les "Beschneidungsbänder" (Mappen) qui se trouvaient alors - en octobre 1798 - dans la synagogue. Le registre ne contient pas moins de 209 noms ; la mappa la plus ancienne date de 1667. Dans ce registre les noms de famille n'apparaissent qu'en 1719 et nous y trouvons des Bloch, Franck, Geismar, Greilsammer, Kahn, Lévi, Raffel, Rothenburger, Schwob, Weyl et Zivy.
De tels documents sont très émouvants : penser que plus de trois siècles plus tard, on trouve trace de la circoncision d'un bébé de Biesheim et que grâce à une Mappa pieusement brodée ou peinte on peut écrire l'Histoire, donne à rêver. Mais aussi, cela attire l'attention sur une grosse lacune des registres établis sur de telles bases : car aucune fillette ne venait, à trois ans, porter une Mappa à la Schülle...
Détail de la
Mappa d'Asher Ben Meïr, Allemagne, 1842, couleurs à l'eau sur une toile de lin
coll. Musée d'Israël