En rencontrant Michel Rothé lors des "Rencontres juives" à Brive (en Limousin) en 2014 et 2015, j'ai eu l'occasion d'échanger avec lui sur notre passion commune pour l'histoire de la communauté juive de Limoges pendant la seconde guerre mondiale. C'est dans cet esprit de partage que je lui ai transmis ces documents dans l'idée d'enrichir cette page de l'Histoire que nous partageons. Il m'a alors offert la possibilité de me présenter brièvement et d'introduire ces archives historiques.
A Monsieur le Préfet
Hotel de la Préfecture Limoges ------------ Monsieur le Préfet, Nous avons l'honneur de vous soumettre les faits ci-après exposés Habitant un immeuble sis rue Cruvrilhier, n° 5 nous formions jusqu'à ce jour un groupe de locataires calmes et de bon voisinage. Depuis quelques mois ET SANS AUCUN AVERTISSEMENT une synagogue s'est établie au rez-de- chaussée. A l'origine ils ont fait preuve de discrétion, mais depuis quelques semaines ces indésirables ne cessent de multiplier les preuves de sans-gêne et de la plus insoutenable impolitesse. A ces griefs, il en est d'autres plus immédiatement inacceptables : Ces jours derniers, après avoir construit un four, dans le but, disent-ils, de fabriquer le pain azyme, ils ont fait venir 200 sacs de farine, puis un pétrin, puis un moteur. J'attire votre attention
Monsieur le Préfet
Sur ce que AUCUNE ENQUETE DE COMMODO ET INCOMMODO n'a été faite avant cette installation, auprès des habitants de cet immeuble ni des voisins des nos 5 & 5bis, où il y a 7 enfants en bas âge et UN cheminot. La nuit du 27 au 28 mars, à partir de 22 heures jusqu'à 3 heures 1/2 le moteur a marché sans arrêt ; de plus cette même nuit des allées et venues incessantes ponctuées de claquement de portes, continuellement gène le repos général. Au point de vue des réunions cultuelles, déjà gènantes par le fait que les chants liturgiques commencent chaque samedi à 7 heures, réveillant les jeunes enfants, ainsi qu'un locataire dont le travail s'exerce le plus régulièrement durant la nuit. Non contents d'apporter une telle somme de perturbations, nous nous sommes aperçus qu'un Israelite, assistant à l'office, urinait dans l'escalier de la cave. Au cours des mêmes cérémonies, les assistants, encombrent jusqu'aux escaliers empêchant les usagers de circuler librement. De plus, l'entrée BOUEUSE n'est jamais nettoyée, sauf quand nous en faisons la réflexion au Rabin. Nous avons l'honneur
Monsieur le Préfet
De vous demander de prendre en considération l'exposé ci-dessus et de vouloir bien y faire donner les suites que vous jugerez utile.
Dans cette confiance, Nous vous prions de croire
Monsieur le Préfet
L'assurance de nos sentiments respectueux.![]() Le 28 Mars 1941
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Limoges, le 28 mars 1941
Monsieur le Commissaire Central Pour faire suite à mon rapport signalant la réception par Monsieur DEUTSCH, rabbin à Limoges, de 100 balles de farine, entreposées à la synagogue 5, rue Cruveilher, j'ai l'honneur de vous donner les renseignements supplémentaires suivants : Le 25 mars 194I, une nouvelle livraison de I00 balles de farine a été faite à la même adresse. Des œufs auraient été également entreposés. Ces farines étant destinées à la fabrication du pain azyme pour la célébration de la Pâque Juive, les ménagéres voisines se sont émues de ce fait. Elles ne comprennent pas que lorsque la ration de pain vient d'être diminuée, les juifs de Limoges aient obtenu une mesure de faveur. Cette nouvelle s'étant colportée de porte en porte, c'est la ville entiére qui est en émoi. D'autre part, des renseignements qui m'ont été fournis par Monsieur DUBOIS, Marcel, boulanger rue François Chénieux, répartiteur des farines pour le département, m'a fait connaitre qu'un four à chaîne pour la fabrication du pain venait d'être construit 5, rue Cruveilher, créant ainsi un commerce nouveau de boulangerie Les membres du Syndicat de la Boulangerie protestent contre cette création. Du moment que les Juifs sont autorisés à faire du pain spécial pour la Pâque, ils se proposent de solliciter une autorisation de fabriquer dans leurs patisseries des "cénes" et des "cornues" pour le Jeudi Saint. Certains manifesteraient l'intention si satisfaction ne leur était pas accordée de manifester pour Pâques devant la Synagogue.
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Limoges, le 2 avril 1941
Le Préfet de la Haute-Vienne à Monsieur le Commissaire Central.
Comme suite à votre rapport cité en référence, j'ai l'honneur de vous informer que les farines entreposées à la synagogue rue Cruveilhier n° 5, ont été débloquées régulièrement par décision du Ravitaillement Général. Cette marchandise est destinée à la fabrication de pain azyme utilisé contre tickets pour la Pâque juive. Il n'existe que trois centres de fabrication pour l'ensemble du territoire. Il ne m'appartient pas, dans ces conditions de faire obstacle à ces livraisons qui ont fait 1'objet de décisions de l'autorité supérieure. Par contre, il importe de veiller à ce que les manifestations religieuses des intéressés ne constituent des causes de trouble pour la tranquillité des voisins ou des co-locataires de 1'immeuble. Une réclamation collective, que je vous communique, m'est précisément parvenue à ce sujet. Je vous prie de faire une enquête et s'il y a lieu inviter les dirigeants responsables à prendre toutes dispositions pour ne plus troubler la tranquillité du quartier. |
Limoges, le 11 avril 1941
RAPPORT En me référant à votre transmission du 5/4/1941 de la lettre de Monsieur le Préfet de la Haute-Vienne, relative à l'activité de la colonie juive de la synagogue de la rue Cruveilher, dont se plaignent une quinzaine d'habitants de l'immeuble, par une pétition jointe adressée à la J'ai l'honneur de vous faire connaître ci-après le résultat de l'enquête à laquelle il e été procédé par mes services. L'immeuble portant le N° 5 de la rue Cruveilher comporte deux étages et mansardes et posséde une entrée à droite et l'autre à gauche lesquelles communiquent avec les escaliers conduisant aux étages supérieurs. Le rez-de-chaussée qui comprenait deux vastes magasins vient d'être transformé en synagogue. Dans la cour, partie arrière de l'immeuble, et contre une bâtisse sise dans le fond à droite, un grand hangar existant, a été aménagé pour la fabrication du pain azyme. A cet effet, un four y a été construit et des machines y transportées. La fabrication dudit pain sans levain, commencée lundi 7 avril doit être terminée pour vendredi soir 11 courant. Le chef d'atelier, un nommé FRECHE, Roland, né le 6 janvier 1906 à Alger, de nationalité algérienne, biscuitier, 12, rue des Grandes-Fousses à Limoges, y travaille avec son épouse et quatre ouvriers. A la suite de la location du rez-de-chaussée par le sieur VIROLLE, propriétaire de la maison, demeurant à Masseret (Corrèze), en Octobre dernier, à un sieur BLOCH, Lucien, directeur d'usine d'appareils électriques et habitant rue Jean-Jaurès à Limoges, il avait été convenu, paraît-il, que les locaux cédés serviraient à un entrepôt de marchandises. Cependant, en février, un four était construit dans l'arrière bâtiment et ce, sans demande d'enquête conmodo et incommodo. Ce four, dont la cheminée émerge au centre du toit incommode par la fumée qu'il dégage, les locataires du 1er étage des deux bâtisses. Il y aurait obligatoirement lieu, si ce four devait être encore utilisé à l'avenir, de réhausser ladite cheminée d'au moins quatre mètres. Il est exact que par suite du bruit des machines qui ont fonctionné pour la première fois au cours de la soirée du 27 et 28 mars, pour un essai, que la tranquillité des habitants de la maison a été troublée. Des observations sévères ont été adressées par mes soins au chef de fabrication lequel m'a promis de faire tout son possible pour que pareil fait ne se reproduise plus, de même en ce qui concerne les bruits occasionnés par le personnel et par le claquement des portes. J'ai fait demander à l'Officier de Paix de faire exercer une surveillance et dresser le cas échéant, contravention. En ce qui concerne la synagogue, M. le rabbin DEUSTCH, demeurant 43, boulevard Gambetta que j'ai convoqué, m'a fait part que jusqu'à présent, il disposait d'un local de 50 places, 18, rue Manigne où il tient encore office tous les jours, mais qu'en présence du nombre toujours croissant de fidèles dépassant en ce moment trois cents, tous réfugiés, il s'était trouvé dans l'obligation de se servir du local actuel aménagé en synagogue pour y célébrer son culte les vendredis et samedis seulement. Ces offices sont donnés le vendredi de 7 à 8 le matin ; le samedi de 8 h.45 à 11h.45 ; puis de 14 h.30 à 18 h. (réunion des jeunes) et de 19 h. à 20 h. 45 (conférence religieuse). Ce ministre officiant laisse entendre que lors de le location des locaux dont s'agit, il avait été arrêté qu'il serviraient d'oratoire et pendant une durée de bail de 3,6 à 9 ans. J'ai communiqué à M. le rabbin DEUSTCH les doléances des habitants de l'immeuble 5, rue Cruveilher et lui ai demandé à ce qu'il veille pour que les manifestations religieuses qui y sont célébrées ne constituent pas un trouble pour la tranquillité des co-locataires et des voisins et aussi aux mesures d'hygiène et de propreté de l'immeuble, ce qu'il m'a promis de faire sans faillir. |
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