Le 15 Shevath
par le Docteur Robert NERSON
Extrait du Bulletin de nos Communautés, 1948



Claude Monet : La Mare, effet de neige (hiver 1874-1875)

Pourquoi nos sages ont-ils fixé le nouvel an des arbres, au 15 Schevath, en plein hiver ? Certes, c'est, le moment où en Palestine des nouvelles plantations peuvent être faites, mais les arbres, même là-bas, sont encore nus. L'apparition des premiers bourgeons, des premières feuilles, n'aurait-elle pas été le signe évident qu'une nouvelle vie commence par les arbres. Et ici dans la diaspora, 'hamischa assar beschevath est devenu une fête scolaire, une fête pour la jeunesse, une fête du renouveau. Comment cela est-il possible alors que la neige recouvre le sol, et que le froid règne, que l'atmosphère semble plutôt faire penser à la vieillesse, à la mort ?

L'explication de ces contradictions apparentes se trouve dans la guemara Rosh-Hashanah (14:a). Si au 15 Schevath l'hiver n'est pas fini, les pluies les plus fortes sont cependant déjà tombées à cette époque de l'année, les chutes de neige les plus importantes sont finies, les journées vont s'allonger, le soleil devient de plus en plus chaud et la neige commence lentement à fondre, les racines retrouvent de l'humidité et la sève va monter dans les troncs.

Cette montée de la sève, ce travail caché, prépare l'apparition des bourgeons, des premières feuilles. C'est en tenant compte de ce travail préparatoire, certes moins manifeste, mais indispensable, que nos Sages ont été amenés à fixer le nouvel an des arabes au 15 Schevath ! Hamicha assar devient ainsi le symbole de cette notion morale fondamentale qu'il ne faut pas juger l'homme uniquement par ses actes, visibles comme les feuilles, mais en tenant compte, de l'intention, du motif qui a abouti à la manifestation visible. Cette intention cachée au fond de la conscience prépare l'acte, son importance est primordiale.

Mais le 15 Schevath est aussi le symbole de la destinée humaine et de celle l'Israël. L'arbre a connu son plein épanouissement en été, puis est venu l'automne, et enfin l'hiver. L'arbre est nu, comme mort, mais cette mort n'est qu'apparente. En plein hiver, alors que tout renouveau semble impossible, un long travail préparatoire commence qui aboutira à un nouveau printemps, à un nouvel épanouissement. Job en essayant de trouver une solution au problème de la destinée humaine montre l'analogie entre la mort apparente de l'arbre et celle de l'homme qui n'est qu'un sommeil dont l'être humain se réveillera à l'époque de la résurrection des morts : "L'arbre possède une espérance lorsqu'il est coupé ; il reverdira encore et ses rameaux ne périront point.; que sa racine vieillisse dans le sol, que sa souche meure dans la poussière, il refleurit à l'odeur des eaux et pousse des branches comme une jeune plante. Mais l'homme meurt et s'efface, il expire, et où est-il ? Les eaux s'écoulent de la mer, le fleuve se dessèche et tarit. Et l'homme s'est couché et ne se relèvera plus, jusqu'à ce que les cieux finissent, il ne s'éveillera pas et ne sortira de son sommeil. Qui m'accordera que tu me caches dans le Schéol, que tu me dérobes durant que ta colère passe, et que tu me poses un terme où tu te souviendras alors de moi ? Quand l'homme meurt, est-ce qu'il revit ?... Ainsi, j'espérais chaque jour de mon temps de service, jusqu'à ma libération. Tu appelleras et je te répondrai, tu languiras après l'œuvre de tes mains...". (Job 14:7-15, traduction d'Edmée Delebocque).

Si le 15 Schevath est ainsi le symbole de la destinée humaine il est en même temps celui du peuple juif qui a connu un passé glorieux, dont plusieurs branches se sont perdues, dont le tronc persiste seul. Mais dans l'hiver de l'exil, l'épreuve de la diaspora prépare un avenir meilleur. "L'Eternel disséminera les hommes, et grand sera l'abandon au sein de ce pays. A peine un dixième y survivra, qui, à son tour, sera dévasté, mais tout comme le térébinthe et le chêne, lorsqu'on les abat, conservent leur souche, la race sainte verra subsister une souche"
(Isaïe 6:12-13).

'Hamischa assar vient ainsi rappeler qu'Israël connaitra un avenir plus glorieux. Il est tout naturellement la fête de la jeunesse, espoir de tout peuple. C'est aussi le jour de fête par excellence des écoles juives. Comme le premier rayon de soleil prépare la floraison, l'enseignement prépare l'épanouissement spirituel de l'homme. Mais pour que cet enseignement soit fertile, pour qu'il porte ses fruits, il ne doit pas décourager l'enfant qui n'en comprend pas encore le but, il faut stimuler son énergie et rendre l'étude plus attrayante. 'Hamischa assar Beschevath a toujours rempli cette niche.

© A . S . I . J . A .