La colo de Moosch : Etre et avoir été – trois étés
Rabbin Jacquot GRUNEWALD

J. Grunewald à Moosch (années 50)
J. Grunewald
Le hasard avait trop bien fait les choses : comment ne pas relever, d'abord, que la "colo de Moosch" avait pendant trois années consécutives, trois directrices avec le même nom : Cohn et Kohn. Deux d'entre elles avaient dû pousser le souci jusqu'à confondre leurs prénoms : Marguerite et "Margot". "Elles ont dû…" parce que les lignes qui suivent ne tentent pas de recherche. Michel Rothé, le maître de ces lieux m'a demandé mes souvenirs. Seulement mes "souvenirs"… Alors voici.

Les Cohn et les Kohn. Les bonheurs d'été, les Vosges sous l'orage, l'apprentissage de l'éducateur, les invasions de hannetons (en plein mois d'août! Ce n'étaient peut-être pas des hannetons, mais les volatiles ressemblaient comme des frères ou des soeurs aux lourdes et peu merveilleuses machines volantes de mai). Et les vacherins! Dans une auberge voisine, le soir, quand la colo dormait. La fameuse madeleine devait être bien fade comparée au goût délicieusement fruité de ces boules rouges et blondes, vertes comme le pistache n'a jamais été (mais ça je ne l'apprendrai qu'en Israël) avec les fleuves de crème fraîche sur les icebergs de meringues fondantes. C'était avant que les E 335, 336 , les 422, les 470 et autres sournoises nomenclatures des listes de cachrouth ne pénètrent les Vosges et ne chagrinent les rabbins de France.

Moi, je venais de Limoges, tout juste âgé de 16 ans, expédié pour deux longs mois dans les sommets d'Alsace, sur recommandation d'un médecin qui voulait le bonheur de mes poumons. Et sur recommandation de ce vieil ami de mes parents, Bô Cohn (il savait par coeur ma date de naissance comme celles de dizaines d'autres enfants dont il avait eu la charge morale et quelquefois physique pendant les années de guerre). 16 ans! Pas encore mono et trop vieux pour être colon. C'est ainsi que je fis connaissance du monde des chefs– dans cette jolie maison en plein village, mais bordée de terrains de jeux, sous l'égide d'une association qui, je crois, dépendait des Juifs du Haut-Rhin, et qui s'appelait "L'Abri" – comme la colo. Je fis l'apprentissage de mono sur le tas et c'est là (et plus tard dans les camps de Yechouroun) que j'acquis cette conviction que l'effort d'éducation de la communauté juive devait essentiellement porter sur la période des vacances, quand les jeunes étaient disponibles.

   
De g. à dr. : Selma Dreyfus (Ouziel) - ? - Gilbert? - Eva Goldschmidt - Mme Cohn-Bendit   J. Grunewald en 3ème position en haut à gauche   Moosh - Josy Samuel et ses enfants, Benno Gross
et le père de J. Grunewald

On devait être en 1950 – si l'addition des ans que je viens de tenter sans calculette est exacte. Et je risque de confondre cet été avec ceux de 51 et 52, également passés à Moosch. Ce dont je suis sûr cependant, c'est que la première de mes colos était dirigée par Mme Margot Cohn. Elle est toujours bibliothécaire aguerrie et archiviste des papiers de Martin Buber, à Jérusalem. Elle était l'épouse de Bô. Les enfants de Bô et de Margot Cohn étaient intégrés à la colo. L'un des petits garçons – quel pouvait être son prénom ? – disait ce qu'il voulait en pleurant. J'ai dû lui chanter un refrain de ce temps-là : "Un homme ça ne pleure pas… Un homme c'est plus dur que ça !" Bêtises.

Daniel Cohn-Bendit à Moosch
(28 août 1955)
Je me rappelle bien les nom et prénom d'un autre enfant de directrice. Daniel Cohn-Bendit, l'été d'après. Tout frêle, rouquin et d'une vivacité qui marquera le jeune moniteur que j'étais devenu. D'une grande vivacité ! Un jour, la troupe revenant de balade, rentrant au bercail en marchant sur le côté gauche de la route, comme il se devait, Dani (je n'aurais pas usé alors de la terminale Y) s'échappa du rang pour traverser l'asphalte et rejoindre la colo. J'eus le réflexe de l'agripper juste avant le passage d'une traction avant. Et c'est ainsi que le Parlement Européen me doit l'un de ses plus brillants députés. Il y a avait aussi son frère Gabriel, plus âgé. Mme Cohn-Bendit était économe à l'école Maïmonide. J'ai gardé d'elle le souvenir d'une femme bien. Energique, riante. Peu concernée par la théologie. Elle nous parlait de son mari, avocat en Allemagne qui s'occupait de Wiedergutmachung [Réparations]. Ancrage qui explique celui de Dany le Rouge.

Mme Cohn-Bendit à la fenêtre
Une partie des colons venaient, cette fois, des maisons de l'OSE. Souvent des jeunes sans parents, ou dont la garde parentale posait problème. Séquelles de la guerre et des camps. Plusieurs de ces jeunes étaient plus âgés que moi. Autre apprentissage. Certains enfants savaient à peine le français. Je me rappelle plus particulièrement l'un d'eux, qui souffrait d'une maladie musculaire. Gentil gosse, un peu perdu. Un jour, il sortit tout effrayé de l'infirmerie, parce qu'il avait, me dit-il, une "gueule de lion". Si, si... il n'en démordait pas. Renseignements pris chez Rachel elle avait diagnotiqué "des ganglions". Rachel, l'infirmière était une chic fille. Perdu le contact. Un surfeur saurait-il ce qu'elle est devenue? Il y avait aussi, Gilbert, le moniteur, cadre plus tard dans les centres communautaires et que j'ai dû revoir lors d'une passage à Toulouse. Dina, elle, la discrète et fine Dina Madar, plus tard infirmière à l'école Lucien de Hirsch, succombera à la maladie. En 1994 ou 1995.

C'est à Moosch que j'ai fait connaissance avec Colmar, je veux parler des enfants et des monitrices de Colmar, de Mulhouse et bien sûr de Mulhouse-Dornach. Les Samuel, les Rothé, les Furth, les Schwob… J'en passe sans doute, que les meilleurs me pardonnent. J'allais revoir plusieurs d'entre eux, ou plutôt leurs jeunes frères ou soeurs, une dizaine d'années plus tard au Talmud-Tora de Mulhouse et plus tard encore, pères, mères ou grands-parents … à Jérusalem. Je ne pense pas me tromper excessivement – le fait devrait intéresser les sociologues ou les historiens – en notant que la majorité des monitrices d'alors sont restées souriantes en ce début du second millénaire, et se sont installées en Israël ou s'y rendent régulièrement : Françoise Schwab (Azoulay) à Ashkelon, les soeurs Picard, Claude (Sberro) et Lucile (Deutsch) à Jérusalem, comme Mady Touati (Oren), Esther Suskind (Feit), Nicole Hirsch (Goetschel), Selma Dreikurs (Ouziel). Eve ex-Goldschmidt habite ailleurs dans le pays. Que me pardonnent ceux ou celles que je n'ai pas revus depuis et dont je risque de mal citer les noms.

Troisième été sous la direction de Marguerite Kohn. Elle venait de l'Ecole Yabné où elle était secrétaire de direction. Sa fille Danièle était à la fois directrice et fiancée du jeune rabbin Schlammé. Je l'ai revue il y a deux ans et j'étais tout heureux de la voir aussi enjouée qu'elle fut naguère. Mme Kohn était veuve. Moulou, comme ses amis appelaient son mari, n'était pas revenu de déportation. Elle sut élever, seule, ses cinq enfants qui, tous, ont bien mérité du judaïsme.

Voilà, en vrac… Témoignages on line. Avec pour finir, une pensée pour la belle synagogue de Thann. A chaque session, son président et les quelques fidèles qui restaient dans la petite ville vosgienne, accueillaient gentiment la colo.
Ah la jolie colonie de vacances, merci les Cohn, merci les Kohn…

Photographies : Coll. Jacquot Grunewald et Michel Grimberg, Coll. Mady Oren

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Vous trouverez d'autres photos de la Colonie de Moosch sur l'article Au seuil des vacances


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