Le chantre
La cérémonie des fiançailles et le cassage d'une assiette
lors de la rédaction des conditions du mariage
par Daniel WARSCHAWSKI



Assiette de fiançailles cassée pendant la cérémonie, puis recollée
par la suite - Musée Judéo-Alsacien de Bouxwiller ; © Michel Rothé
Dans le livre באליה רבה,le rabbin Eliahou Schapira (dix-septième siècle) cite le célèbre rabbin allemand Yom Tov Lippmann Heler (1579-1654), auteur du Tosfot Yom Tov, à propos de la tradition ashkénaze de casser une assiette au moment où l'on écrivait "l’acte des conditions" (שטר תנאים),"knass legen" en judéo alsacien.

En effet il existe une très ancienne tradition juive dont les acteurs sont les fiancés et selon laquelle les deux parties prennent sur elles des engagements financiers et autres qui entreront en vigueur dès leur mariage ainsi que les sanctions encourues un cas de rupture unilatérale du mariage, d’où l'expression "knass (amende) legen".

Nous possédons des preuves qu’au dix-septième siècle dans les pays ashkénazes on cassait une קדירה à la "cérémonie des conditions". Voir Book of Religion Cérémonies, page 21, du renégat Abraham Mer, de son vrai nom Gamliel Pedatzur. D’après lui, c'est le rabbin qui brise la קדיחה et tous les célibataires présents à la cérémonie essaient de prendre des débris qui leur porteraient chance pour se marier dans l'année. Voir aussi Les traditions d'Israël du rabbin professeur Daniel Sperberg, volume 6 chapitre 6 page 58.

La cérémonie telle qu'on la pratique en Alsace :

Le grand rabbin Joseph Bloch זצ"ל, dans un article rédigé dans le Trait d'union No 76-77, décrit la cérémonie telle qu'elle est faite en Alsace : "Le jeune couple se place dans un cercle où sont écrits les lettres M.T, initiales de Mazal Tov (bonne chance), ainsi qu'une étoile à six branches (Magen David)".

Un proche parent ou le rabbin casse une assiette (en Alsace קדיחה serait traduit par assiette en porcelaine), en judéo alsacien "brecht s'Tellerle". La raison de cette tradition serait, selon Jacques Kohn (sur le site Techouvot), la suivante : "Le geste consistant à casser une assiette symbolise le fait que, de même que la porcelaine cassée ne peut être remparée, les fiançailles rompues sont irréparables".

Le vendredi suivant le chantre chante Mi Chomoho puis Malhousseho ("Cantique de la mer rouge"). La raison, d'après le GR Bloch, vient du texte talmudique (Talmud de Babylone Sanhedrîn 22a) où nos maîtres se sont posé la question de savoir ce que fait Dieu toute la journée depuis qu'il a créé le monde ? Et de répondre qu' Il s'occupe d'accoupler les gens car "L'union bien assortie entre mari et femme est chose aussi difficile à réaliser que le miracle du passage de la mer rouge".

Le samedi qui suit les fiançailles, le fiancé est appelé à lire la Torah, puis le chantre chante, avant le Mi Cheberakh, le cantique d’Avigdor Karra (Prague, quinzième siècle) : "אחד יחיד ומיוחד אל נדרש לבר לבוב אשר שואל אך טוב אלוהים לישראל הללויה" Puis le hazan chante "יברכך" (prière dite par les parents aux enfants le vendredi soir avant le kidouch selon nos traditions).

Notre vénéré père le G.R. Max Warschawski זצ"ל, dans un article intitulé "dix siècles de vie juive : les juifs d'Alsace" (cité par le Rabbin Professeur Neria Guttel dans l’article "Redonner à la couronne son ancienne gloire"), écrit : "On chante le Shabath avant le mariage ou les fiançailles une mélodie pour le marié (זמר לחתן) afin d'annoncer l'événement". Cette tradition figure dans le Levouch (du Rabbin Mordehai Yaffe 1530-1612), où l'auteur appelle le marié "celui pour qui l'on chante" lors de sa montée à la Torah. Pour l'auteur du Levouch, l'important n'est pas de monter à la Torah mais de lui chanter (pour plus de détails, voir Rabbin Hamburger, Racines du judaïsme ashkénaze tome 2, ou encore le livre des traditions de Frankfort sur le Main נוהג כצאן יוסף de Joseph fils de Moise Kouchmann).

En préparant cette étude nous avons eu la fierté d'apprendre que le Grand Rabbin de France a octroyé le titre de Yekirath Hakehila à notre sœur Evelyne Warschawski-Sitruk [mars 2025] (1).
J'aimerai donc lui dédier ce magnifique texte du prophète Osée 2:21-22 que les ashkénazes déclarent chaque matin en mettant les phylactères et qui résume les traits de caractères d'Evelyne : "Je te fiancerai à moi pour l'éternité, je te fiancerai à moi pour la droiture et la justice par l'amour et la miséricorde, je te fiancerai à moi par la loyauté et alors tu connaîtras l'Éternel" droiture, justice amour miséricorde loyauté et avant tout la recherche de Dieu.

  1. Il s’agit d’une distinction rare, équivalente à celle de ‘Haver pour un homme (n.d.l.r.).
Traditions Judaisme alsacien Pessah
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