De la cendre au verre brisé
tradition ashhenaze du souvenir du Temple au moment du mariage
par Daniel WARSCHAWSKI


Une tradition ashkénazes très ancienne consistait à mettre sur le front du marié,  après les "sept bénédictions" récitées sous le dais nuptial, une pincée de cendre.

Source talmudique de cette tradition

Dans le Talmud de Babylone (traité de Baba Batra 60b) il est écrit : "Si je t'oublie Jérusalem que ma droite m'oublie que ma langue s'attache à mon palais si je ne me souviens de toi si je ne fais de Jérusalem le principal sujet de ma joie" (Psaume 137). Et le Talmud de se demander que signifie l'expression "le principal" (ראש /tête) utilisée par le psalmiste? Rabbi Isaac dit qu'il s'agit de cendre posée sur le front des mariés. A quel endroit du front met-on la cendre? Et de répondre: à la place où l'on pose les phylactères, comme il est écrit (Isaïe 61:3): "Pour présenter aux affligés de Sion et leur remettre une parure (phylactères) à la place de la cendre (cendre s'écrit אפר et parure s'écrit פאר )". La pose de la cendre était considérée comme une obligation rabbinique (תקנת חכמים ), partie intégrante et obligatoire de la cérémonie nuptiale.
Selon le Baal Hatourim (Jacob ben Asher - Tour 65) "il s'agit d'une très ancienne tradition ashkénaze". Voir professeur Israel Ta Chema : Les anciennes traditions ashkénazes.

Evolution de cette antique tradition de la pose de cendre au brisement d'un verre

La cendre posée sur la tête ainsi que le déchirement des vêtements comme signes de deuil sont fréquents dans la Bible (voir 2Samuel 13:19 au sujet de Tamar, le livre d'Esther quand Mardoché apprend qu’Aman a pris la décision de tuer les juifs, ou encore Jonas 3:6).
Pourquoi et comment les rabbins ont-ils décidé de changer la tradition et de substituer un verre aux cendres ?

La position de l'auteur du Colbo

Pour l'auteur du livre Colbo (attribué par certains au Ribach - Isaac Bar Chechat, Espagne 1326-Algérie 1408, et par d'autres à Rabbi Aaron Hacohen de Lunel, France fin du treizième-début du quatorzième siècle), la raison de l'abandon de la tradition des cendres est que "la majorité des juifs ayant arrêté de mettre les phylactères, ils n'avaient pas de parure où poser les cendres" (Colbo chapitre 62).

Tradition du brisement d’un verre

Le Talmud de Babylone (traité de Berakhoth 30b) raconte les actes d'érudits qui brisaient des verres de valeur au mariage de leurs fils.  
La raison de cette tradition, précise le Talmud, était de diminuer la joie du mariage car "il est interdit à l'homme de se réjouir sans limite dans ce monde" (Psaume 126). Voir Michna Berakhoth 9:3.
A priori les deux textes (celui du traité de Baba Batra et celui de Berakhoth) se contredisent. Il me semble que l'on peut résoudre la contradiction et dire qu'à l'époque de la rédaction du Talmud de Babylone il a été décidé que les deux traditions cohabiteraient: l'une (celle de la cendre) pour se souvenir du Temple et l’autre (celle du brisement du verre) pour éviter la débauche. À mon humble avis (je n'ai pas trouvé de source), lorsque l'on a annulé la cérémonie des cendres, la tradition du brisement du verre a automatiquement pris sa place.

Tradition yéménite et tradition ashkénaze 

La tradition yéménite est de faire les deux cérémonies ensemble. Le rabbin Joseph Kappah (1917-2000), juge à la haute cour rabbinique et spécialiste des traditions de son pays d'origine, raconte qu’au Yémen, au moment où le père du marié posait la cendre sur le front de son fils et qu'il prononçait les psaumes appropriés, il versait deux larmes : la première à cause de la dégradation morale (représenté dans la tradition ashkénaze par le brisement du verre) et la seconde pour le souvenir de la destruction du Temple (représenté par les cendres).
Le fait que la tradition des juifs yéménites, qui est reconnue comme l'une des plus anciennes du judaïsme, va dans le même sens que la tradition ashkénaze est une preuve supplémentaire de la justesse de nos traditions.      

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